L’administration par le radiologue de produit de contraste iodé par voie orale ou intraveineuse fait partie des actes couramment prestés en imagerie médicale, principalement en rapport ( bien que non exclusivement) avec des investigations
par CT scanner. L’utilisation de ces produits pose toutefois nombre de questions auxquelles il est souhaitable et légitime d’apporter une réponse aussi claire que possible.
Celles-ci traitent essentiellement de potentiels problèmes « d’allergie à l’iode », de répercussions sur la fonction rénale, d’interactions avec d’autres drogues, du statut particulier de la femme enceinte.
Afin de porter un éclairage global sur ces questions auxquelles sont confrontés radiologues et médecins prescripteurs face au patient parfois concerné par cette problématique, je vous propose ci-dessous la traduction de l’essentiel d’un article publié en 2004 dans Radiographics par Michael A Bettmann.
Sous forme d’une rubrique de «questions fréquemment posées», il reprend des notions de base que je me propose de partager avec vous.
Il s’agit d’un résumé des réponses aux questions, leur développement in extenso étant accessible dans l’article complet dont vous trouverez le lien au bas de ce texte.
Philippe Braudé
Faut-il obtenir un consentement avant d’injecter du contraste?
La réponse est NON.
Cela serait nécessaire si le risque de décès ou de réaction grave était élevé (1/100 ou 1/1000). Ce risque est de l’ordre de 1/130000.
Mais si la question est posée à un avocat, la réponse sera OUI, dans quasi tous les cas.
Dans la mesure où la définition de mauvaise pratique médicale repose sur les modalités couramment en vigueur et que l’immense majorité des radiologues n’obtiennent pas ce consentement, ce-dernier n’est pas un prérequis.
En revanche, il est vivement recommandé que le patient soit informé des risques et puisse lui-même informer le radiologue de certains facteurs de risques par le biais d’une « feuille d’informations ».
Que faire avec un patient « allergique » aux produits de contraste?
Cette notion « d’allergie » à l’iode n’est pas une allergie vraie à la molécule d’iode car:
1. bien que les signes qui accompagnent une réaction puissent être sévères (incl. choc anaphylactique), les molécules en question sont trop petites et trop légères pour agir comme des antigènes.
2. aucun anticorps n’a jamais été démontré chez aucun patient sujet à de telles réactions, en dépit d’études extensives.
3. enfin, l’expérience extensive indique que les patients qui ont eu une réaction adverse aux produits de contraste iodés ont un risque plutôt faible de récurrence lors d’une nouvelle injection ( de l’ordre de 8 à 25%). Une réaction lors d’une précédente injection demeure le meilleur facteur prédictif d’un risque élevé de nouvelle réaction, mais s’il s’agissait d’une allergie vraie, ce taux de récidive serait proche de 100% et non pas de 8 à 25%.
Si le patient a connu une réaction antérieure à un produit de contraste, dois-je l’ignorer, prescrire un traitement préventif ou éviter toute injection ultérieure?
Il n’y a pas de réponse simple.
Il n’est pas nécessaire d’éviter une injection ultérieure. Dans la majorité des cas, les réactions sont mineures et ne menacent pas la vie.
Néanmoins, très rarement, des patients peuvent présenter des réactions potentiellement récurrentes et léthales, mais ces cas sont extrêmement rares et peu documentés.
Changer de produit de contraste par rapport à celui qui a été cause de réaction antérieure est utile, mais encore faut-il que cette information (sur le produit utilisé) soit accessible.
L’administration d’un traitement désensibilisant à base de corticoïdes et antihistaminiques débutant 12h avant l’injection a été prouvé utile, mais il faut savoir que ce régime ne préviendra que les réactions mineures, PAS les réactions sévères.
Etre prêt ( matériel adéquat et personnel entraîné ) à prendre en charge une réaction grave demeure l’élément crucial et indispensable associé à l’injection de contraste.
Si le patient a d’autres allergies ou est asthmatique, cela prédit-il un risque majoré de réaction au contraste?
Oui, mais de façon minimale (seulement d’un pourcentage très bas). Les réactions seront mineures et ne contre-indiquent pas l’injection de contraste.L’asthme, pour sa part, n’augmente que le risque de bronchospasme. Celui-ci se traite aisément avec des sprays Bêta-agonistes, qui doivent toujours être à disposition immédiate lorsque l’on injecte de l’iode. A noter par ailleurs qu’il n’y a aucun lien entre l’allergie aux fruits de mer et les réactions à l’iode, et que cette association qui fut pendant longtemps évoquée est clairement erronée.
Dois-je obtenir les taux d’urée et de créatinine pour chaque patient avant une injection?
Non. Tous les patients ne sont pas à risque de développer une néphropathie aux produits de contraste.
Seuls les patients à risque (voir article) devraient disposer d’une évaluation récente de la fonction rénale, incluant aussi le taux d’urée qui permet de juger du degré d’hydratation et d’éviter l’injection chez un patient déjà déshydraté.
Quid des patients qui prennent de la Metformin?
Les patients avec un taux plasmatique élevé de Metformin sont à risque d’acidose lactique (léthale dans 50% des cas). La metformin, excrétée telle quelle par les reins, va voir son taux plasmatique augmenter chez les patients avec fonction rénale altérée ou fonction cardiaque ou hépatique décompensée. Ces patients NE DEVRAIENT DONC PAS RECEVOIR DE METFORMIN!
Quant au radiologue: pour les patients sous Metformin ( sans facteur de décompensation rénale, cardiaque ou hépatique): la Metformin doit être interrompue pendant 48h à partir de l’injection.
Pour les patients avec fonction décompensée: postposer l’injection de contraste.
Comment prendre en charge les patientes enceintes ou qui allaitent?
Les molécules de contraste, petites, franchissent la barrière placentaire et sont également présentes dans le lait maternel.
Il n’y a pas de risque tératogène établi; pas d’innocuité totale prouvée. Il s’agit donc d’une balance risque-bénéfice ( idem pour l’irradiation, dont le risque est potentiellement plus important que celui lié au contraste). A éviter si possible dans le 1er trimestre.
Pour la femme enceinte: recommandation de prélever du lait avant injection, et d’utiliser ce lait pendant 12-24h après, en jetant le lait extrait dans les 24h après l’injection.
Qu’est-ce qu’une néphropathie aux produits de contraste, comment est-elle définie et à quelle fréquence survient-elle?
Elle est définie par la chute de la clearance de créatinine après l’administration d’un contraste iodé. La clearance de créatinine doit être de loin préférée au taux sérique de créatinine, qui est peu cher et très facile à obtenir, mais beaucoup moins précis ou utile (le même taux sérique chez une jeune femme de 20 ans en bonne santé et une dame de 80 ans et 50 kg peut se traduire par une clearance normale d’une part, altérée de 65% d’autre part! ).
Des facteurs associés (déshydratation, chirurgie, prise de médicaments néphrotoxiques) interviennent dans la survenue de cette néphropathie, dont l’incidence vraie est actuellement impossible à préciser.
Quels sont les facteurs de risques de développer une néphropathie aux produits de contraste?
Le risque principal: avoir une altération préalable de la fonction rénale.
Donc, entre autres: diabète au long cours comme facteur favorisant, déshydratation, cardiopathie congestive, drogues néphrotoxiques…
Chez ces patients, le rôle délétère de l’administration de contraste est corrélé à la dose: il augmente avec la dose de contraste administré.
En revanche, une néphropathie aux produits de contraste ne surviendra jamais chez un patient à fonction rénale normale, même si de hautes quantités de contraste sont administrées.
Quelle est l’histoire naturelle d’une néphropathie aux agents de contraste?
Dans la grande majorité des cas, on observe une augmentation transitoire du taux sérique de créatinine, avec un pic entre 4 et 7 jours, puis un retour graduel à la normale. L’évolution vers une insuffisance rénale est rare, dépendant de la sévérité de la néphropathie sous-jacente. Dans une étude sur 600 patients avec taux de créat élevé et cathétérisme cardiaque nécessaire et pratiqué, 7 seulement ont dû subir une dialyse, 3 de façon définitive suite à l’injection de contraste.
Comment peut-on prévenir la néphropathie aux produits de contraste?
Comme mentionné ci-dessus, pas de problème pour les patients à fonction rénale normale, indépendamment des doses de contraste administrées.
Pour les patients à risque: la première chose est de leur assurer une hydratation adéquate: cela signifie de prévenir le patient de boire plusieurs litres dans les 12 à 24h AVANT l’examen.
Si cette hydratation orale préventive est impossible ou contre-indiquée (anesthésie,…), une hydratation par voie veineuse avant et après l’examen est recommandée (voir article).
Existe-t-il un taux de créatinine sérique au-dessus duquel un patient ne devrait pas recevoir de contraste iodé?
La réponse schématique est NON.
D’un point de vue pratique, il s’agit, pour le radiologue, de calculer ou d’obtenir la clearance de créatinine, et de déterminer ensuite, en fonction de celle-ci, la balance risque-bénéfice, entre un examen injecté, non injecté, une autre modalité diagnostique, le risque d’une absence de diagnostic etc…
Rappelons-nous que le risque lié à une néphropathie aux agents de contraste dépend essentiellement de la sévérité de la néphropathie sous-jacente, et que la plupart du temps, l’injection péjorera temporairement la fonction rénale, avant un retour progressif à la situation de départ.
Quid des réactions adverses aux produits de contraste de type retardées?
Ces réactions sont toujours et invariablement de type cutanées, érythémateuses macropapulaires. Elles surviennent entre 12 et 48h après l’administration de contraste.
Il s’agit le plus souvent d’un rash limité et peu symptomatique, mais cela peut s’étendre à tout le corps et être très inconfortable.
Si peu étendu et peu pruritique: prescrire corticoïdes à usage local.
Si extension à tout le corps et prurit+++, référer le patient à un dermatologue.
Ces réactions ne présagent PAS de la survenue d’autres types de réactions aux produits de contraste.
Voici l’article complet publié en 2004 dans Radiographics par Michael A Bettman.
Philippe Braudé
E-mail : phbraude@gmail.com